Le jardin sur les quais
Le jardin sur les quais
La maison est sur les quais de Morges, côté Lausanne, là où les voitures sont détournées et seuls les piétons sont autorisés. Depuis sa belle terrasse à l’étage, la vue sur le lac est tellement extraordinaire que le propriétaire s’en est d’abord satisfait. Jusqu’à ce que, vu de haut, son parking à voitures, là en dessous, entre la maison et l’eau, lui paraisse soudain un peu étrange, voire incongru.
Il était passionnant pour nous d’imaginer un jardin qui n’existait pas encore.
Avec deux bémols; en forme de défis.
S’interroger sur l’essentiel.
Très enthousiaste, le propriétaire imaginait, pour ce jardin un programme si riche, de la cuisine d’été au bassin où l’on peut se baigner, que nous ne voyions pas comment le faire entrer sur une surface relativement restreinte. D’où une discussion humaine longue et intéressante pour déterminer – premier défi – l’essentiel de ce que lui et son épouse espéraient le plus de ce lieu; et les heures où ils comptaient le plus s’y retrouver, entre eux deux ou avec leurs invités.
Servitude de passage…
Mais encore fallait-il aussi assumer dans le dessin – c’était le deuxième défi – le fait que cet espace privé peut à tout moment être traversé par un ou plusieurs piétons. Une servitude de passage à pied permet ainsi au public de relier le quai, en perpendiculaire, à partir du trottoir de la grande route qui derrière la maison, file sur Lausanne. Comment donc faire, avec un tel va-et-vient de passants, pour conserver à ce jardin sa part d’intimité ? Jamais encore nous n’avions encore rencontré pareil problème et, pour le résoudre, la personnalité du maître d’œuvre s’est révélée essentielle.
Pari sur l’intelligence
Dès qu’il ressent qu’en cet endroit, il n’est pas considéré comme un intrus, le piéton, s’y montre comme plus discret et respectueux de la part de confiance qui lui est faite. Ces passants étant pour l’essentiel des habitués amoureux du bord du lac, ce rapport de bonne intelligence s’est très vite vérifié et durablement installé. Ce qui ne veut pas dire qu’ici et là, pendant son trajet, un piéton ne soit pas tenté de jeter un œil sur la partie la plus privative du jardin.
Concilier transparence et intimité
D’où, longeant le chemin de passage, l’idée d’une haie légère, mobile sous le vent et laissant passer la lumière; irrégulière dans ses hauteurs, diversifiée dans sa composition d’espèces elle est percée, ici et là, d’ouvertures permettant aux occupants du jardin de pouvoir, de tous côtés, voir le lac, vivre sa présence. C’est à travers cette haie aux végétations souples qu’est aménagé un habile dispositif, permettant d’accéder au jardin plus privatif et à l’intérieur de la maison. En passant sous un fin portique, on pénètre dans une sorte de sas, subtilement dissuasif, où d’abord le regard et le passage butent sur un rideau végétal.
Jouer sur la psychologie
En allant plus loin, en franchissant un pas qui est aussi psychologique, on peut, en tournant à droite accéder au-devant de la maison et à son entrée. En tournant au contraire à gauche, on pénètre clairement chez quelqu’un, en découvrant le jardin plus intime et d’abord son salon extérieur: une boma, adossée à de hauts bambous et orientée de manière à bien recevoir, aux belles heures apéritives, le soleil couchant. Préparée dans nos ateliers, elle peut réunir autour de son foyer quelque six personnes; ou davantage encore avec des sièges mobiles.
Chute d’eau protectrice
L’espace manquant pour un beau gazon, il lui a été préféré une très vaste terrasse en bois, chaleureuse et en légère surélévation par rapport aux plates-bandes dont elle est séparée par des bordures de métal aux courbes élégantes. Elle intègre aussi un bassin où se jette une cascade dont le bruit, ici encore, fait oublier ce qu’il resterait du bruit du passage des voitures derrière la maison, le long de la route suisse. Son murmure se mêle, là, en plus, au clapotis des vagues contre les rochers du quai que survole aussi le cri des mouettes…